Les banques continuent de faire signer ce document à leur client comme condition de l’octroi d’un crédit. Depuis avril dernier, la loi sur la protection du consommateur l’interdit.
Drôle d’entêtement que celui maintenu par les établissements de financement. Ceux-ci continuent de faire signer des billets à ordre (BAO), parfois à blanc, aux particuliers demandeurs de crédit à la consommation ou d’emprunt pour l’acquisition d’un bien immobilier comme en attestent plusieurs témoignages de clients recueillis par La Vie éco. Or dans ces cas particuliers, le BAO, assimilable à une reconnaissance de dette, a perdu de sa valeur juridique depuis l’entrée en vigueur en avril dernier de la loi 31-08 sur la protection du consommateur. En effet, l’article 150 de cette loi interdit expressément et de manière formelle le recours au BAO comme garantie dans les prêts à la consommation et les crédits immobiliers.
Précision importante, cette annulation d’effet ne concerne que les personnes physiques non commerçantes.
Autre précision, cette disposition n’a a priori, pas d’effet rétroactif, autrement dit les BAO signés par les particuliers avant l’entrée en vigueur de la loi restent opposables aux clients. «Il reste néanmoins à la jurisprudence de trancher si la loi devra s’appliquer dans le temps ou pas», nuance Hassan Benhalima, directeur adjoint à la Direction de la supervision bancaire, en charge des questions juridiques.
Un défaut de synchronisation entre sièges des banques et réseau ?
En somme, le billet à ordre que certaines banques et sociétés de financement continuent de faire signer aux particuliers ne sert plus à rien et surtout pas à recouvrer les créances en cas d’impayés. Par à coup, «un particulier qui refuse de signer ces reconnaissances de dette est dans son plein droit et quand bien même il les signerait, cela n’a aucune conséquence juridique», affirme-t-on étonnamment de sources proches du groupement des banques (GPBM) et auprès de Bank Al-Maghrib. Pourquoi alors les établissements de financement continuent-ils d’y recourir ? Chez le régulateur on justifie cela par un simple défaut de synchronisation entre les agences et les sièges des banques, «car ces derniers ont bien introduit des procédures qui suppriment le recours au billet à ordre», justifie M. Benhalima. Or, renseignements pris auprès de plusieurs agences de différentes banques, aucune d’entre elles n’a émis d’instructions à l’intention de son réseau pour la suppression dudit document.
Les banques ne seraient-elles pas aussi tentées de continuer à exploiter l’effet psychologique dissuasif du BAO ? L’on serait tenté de le croire surtout lorsque l’on se rappelle les actions de lobbying déployées autant par le Groupement professionnel des banques du Maroc (GPBM) que l’Association professionnelle des sociétés de financement (APSF) avant l’adoption de la loi 31-08. Les deux groupements sont même allés jusqu’à présenter une nouvelle mouture de cette loi qui maintenait l’effet juridique du billet à ordre. Aujourd’hui encore, on se montre toujours aussi insatisfait arguant même que c’est l’intérêt public qui est desservi. «Si le client ne paie pas ses échéances et que le dossier arrive en contentieux, en l’absence de billet à ordre, l’affaire sera jugée aux tribunaux de première instance lesquels subissent un fort engorgement alors qu’auparavant l’affaire passait par les tribunaux de commerce plus disponibles», prévient le patron d’une société de financement.
Un abus de position dominante de la part des banques
Il y a surtout qu’avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi sur la protection du consommateur, le BAO constituait une arme judiciaire imparable vu qu’il permettait au créancier d’obtenir en 48 heures maximum une injonction de payer ce qui accélère d’autant le recouvrement des impayés par les établissements financiers. En effet, lorsque le BAO est présenté au juge, le débiteur ne peut plus contester le fondement de son engagement, mais il peut simplement contester le montant qui lui est réclamé.
Dans tous les cas, même si avec la nouvelle loi le billet à ordre devient caduque, il reste que son usage pose un problème d’abus. D’abord parce que certains crédits sont déjà couverts par une garantie. Il s’agit notamment des prêts immobiliers pour lequel la banque dispose déjà d’une hypothèque sur la maison à acquérir ou des crédits à la consommation de type affecté pour lequel un nantissement est pris sur le bien en question (automobile par exemple avec carte grise barrée). Ensuite et surtout, l’abus est manifeste dans le sens où le client n’ayant d’autre choix que le crédit comme mode de financement -faute de fonds propres suffisants- se voit contraint de signer le billet à ordre s’il veut accéder au prêt. En termes juridiques, il s’agit plus d’un contrat d’adhésion où l’une des parties impose ses conditions
à l’autre.
Références : Ce que dit la loi
Selon des avocats contactés par «La Vie éco», et même un directeur juridique de banque qui s’est exprimé sous couvert d’anonymat, la perpétuation du billet à ordre comme gage exigé des particuliers qui contractent un crédit auprès des banques s’explique par le fait que les textes d’application relatifs à la loi sur la protection du consommateur ne sont pas encore entrés en vigueur. Une explication qui ne tient pas la route puisque l’article 150 de ladite loi est sans équivoque. On peut y lire : «…sont nuls les lettres de change et billets à ordre souscrits ou avalisés par l’emprunteur à l’occasion des opérations de crédit régies par le présent titre» [NDLR : crédit à la consommation et crédit immobilier]. L’article n’est assorti d’aucune conditionnalité concernant un quelconque texte d’application.
La Vie Eco