Peut-on recourir à l’intérim sans risques ?
Entre intérim et externalisation, la confusion peut souvent provoquer des litiges entre les fournisseurs d’employés et les entreprises utilisatrices. Dans une décision de la Cour suprême, il a été déclaré que le contrat d’intérim a pour objet la mise à disposition de gardiens et non la sous-traitance du gardiennage
Certains chefs d’entreprises utilisent des intérimaires dans le but d’échapper aux contraintes imposées par le code du travail. Autrement dit, ils utilisent des salariés sans en être l’employeur. Une situation bien pratique, sauf qu’elle est, de la manière dont l’intérim est pratiqué au Maroc, requalifiable en contrat de travail à durée indéterminée liant ces chefs d’entreprises à leurs intérimaires depuis le premier jour d’arrivée de ces derniers à l’entreprise. Pour que l’utilisateur n’en arrive pas là, il est important qu’il connaisse le fonctionnement et les contraintes de l’intérim.
Trois acteurs interviennent dans une opération d’intérim : un fournisseur de salariés appelé entreprise d’emploi temporaire ; un utilisateur appelé entreprise utilisatrice et un salarié appelé intérimaire. Pour qu’une opération d’intérim soit régulière, il est obligatoire que son objet soit autorisé par la loi, qu’un contrat écrit, appelé contrat de travail temporaire comprenant les indications exigées par la loi, soit conclu entre l’entreprise d’emploi temporaire et l’intérimaire, et qu’un contrat écrit, appelé contrat de mise à disposition comprenant les indications exigées par la loi, soit conclu entre l’utilisateur et l’entreprise d’emploi temporaire pour l’utilisation de chaque intérimaire.
Les situations permettant d’avoir recours à l’intérim sont définies par le code du travail de manière extensive :- En cas de remplacement d’un salarié pendant son absence ou de suspension de son contrat de travail ;
– En cas d’accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise ;
– En cas d’exécution de travaux à caractère saisonnier, ou de travaux pour lesquels il est de coutume de ne pas conclure de CDI (Contrat de travail à durée indéterminée) en raison de la nature du travail.
Le contrat de travail temporaire, obligatoirement fait par écrit et qui lie une entreprise d’emploi temporaire à un intérimaire qu’elle met à la disposition d’un utilisateur, doit comporter : les qualifications de l’intérimaire, le montant de son salaire et les modalités de paiement, la période d’essai, les caractéristiques du poste à occuper et le numéro d’adhésion de l’entreprise d’intérim à la CNSS.
- La conclusion d’un contrat d’intérim ne constitue pas un transfert de responsabilité
Le contrat de mise à disposition, obligatoirement fait par écrit, doit mentionner : la raison justifiant le recours à l’intérimaire, la durée de la tâche, le lieu de son exécution et le montant fixé comme contrepartie de la mise de l’intérimaire à la disposition de l’utilisateur. La tâche ne doit pas dépasser, selon les cas définis par le code, la durée de la suspension du salarié remplacé, trois mois (renouvelables 1 fois) dans le cas d’accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise, et six mois en ce qui concerne des travaux soit à caractère saisonnier soit pour lesquels il n’est pas coutume de conclure des CDI. La tâche confiée à l’intérimaire doit comporter un terme avec précision.
Lorsque le contrat ne prévoit pas de temps précis, ce qui est le cas lorsqu’il s’agit de remplacer temporairement un salarié ou d’exécuter des travaux à caractère saisonnier, le contrat peut être conclu pour une durée minimale et a pour terme la fin de l’absence du salarié remplacé ou la résiliation de l’objet pour lequel il a été conclu. L’utilisateur doit tenir une copie du contrat de mise à disposition concernant chaque intérimaire.
La gestion du contrat de mise à disposition est de la responsabilité de l’utilisateur, car c’est lui qui communique les motifs et les justifications de recours à l’intérim et qui possède une copie du contrat de mise à disposition. Il risque à ce titre de voir ses relations avec l’intérimaire requalifiées en un contrat de travail à durée indéterminée :
– En cas d’absence de contrat de mise à disposition ou du fait de l’omission des mentions obligatoires nécessaires à la qualification de contrat d’intérim ;
– En cas d’absence de terme précis au sujet de la tâche confiée à l’intérimaire pour l’exécution de laquelle le contrat de travail temporaire a été conclu ;
– En cas de dépassement ou de renouvellements multiples s’agissant de la tâche dont la durée est fixée à trois mois et qui ne peut être renouvelé qu’une seule fois ;
– Au cas où l’utilisateur continue à faire travailler un intérimaire au-delà du terme du contrat sans avoir conclu avec lui un contrat de travail ou sans nouveau contrat de mise à disposition.
La responsabilité de l’entreprise d’emploi temporaire n’est, non plus, pas épargnée, mais dans un autre domaine. En effet, son attention est attirée sur la confusion que l’utilisateur pourrait faire entre l’intérim et l’externalisation. Il s’agit, en fait, de deux opérations différentes. Pour mieux comprendre la différence, prenons le cas suivant.
Dans la nuit du 3 novembre 2003, une semi-remorque contenant des rouleaux de tissus, d’une valeur de l’ordre de 3,5 millions de DH, a été volée alors qu’elle était en stationnement chez son propriétaire, une société industrielle située à Aïn sebâa à Casablanca dont les installations étaient surveillées par deux intérimaires appartenant à une entreprise multinationale d’emploi temporaire.
L’enquête pénale diligentée ayant établi que les deux gardiens étaient impliqués dans le vol, les premiers juges ont estimé que de tels faits engageaient la responsabilité de l’entreprise d’emploi temporaire, étant établi que ses préposés ont agi à l’occasion des fonctions que la société utilisatrice leur a confiées. L’entreprise d’emploi temporaire a, ainsi, été condamnée au paiement au profit de la société utilisatrice de la somme réclamée. La Cour d’appel, en adoptant les motifs des premiers juges a confirmé la décision de ces derniers, mais la Cour suprême, statuant sur le pourvoi formulé, a déclaré que le contrat d’intérim a pour objet la mise à disposition de gardiens et non la sous-traitance du gardiennage et que, par conséquent, la conclusion d’un contrat d’intérim ne constitue pas un transfert de responsabilité. Ainsi, la Cour suprême a, par cette importante décision du 2 avril 2008, montré aux juges du fond le chemin à suivre dans un pareil cas. La Vie éco / 2012-05-04
Reconnu pour la première fois par le code du travail en 2004, l’emploi temporaire suscite aujourd’hui la polémique. De l’avis de plusieurs observateurs, l’intérim pose un sérieux problème aux responsables marocains qui ne s’attendaient pas à voir ce secteur prendre une ampleur disproportionnée. |
Selon la législation en vigueur, les employeurs ne peuvent faire appel à un salarié intérimaire qu’en cas d’exception. Mais l’exception semble se transformer en une règle. L’emploi temporaire a effectué son entrée au Maroc à la fin des années 90 avec l’installation des premières multinationales, notamment Manpower. Aujourd’hui, des dizaines de sociétés spécialisées opèrent dans ce secteur qui emploie des milliers de salariés et dont les résultats annuels se chiffrent à des centaines de millions de dirhams. Le hic, c’est que la majorité de ces structures ne respectent pas la législation en vigueur. Pis encore, le nombre des intérimaires augmente d’une manière spectaculaire dans tous les secteurs constituant ainsi le cœur même de certains métiers.
Pou rappel, les salariés morts incendiés suite au drame survenu à Lissasfa étaient en majorité des employés temporaires. «Aujourd’hui, presque toutes les entreprises d’emploi temporaire opèrent sur le marché marocain sans aucune autorisation. Pour leur part, les inspecteurs du travail ne peuvent pas prendre les mesures prévues par le code en cas d’infraction d’une loi. Cela les dépasse! Je pense que le souci des responsables marocains de lutter contre le chômage a fini par renforcer la précarité de l’emploi », déclare un inspecteur du travail qui préfère garder l’anonymat. De nombreux observateurs appellent les autorités compétentes, notamment le ministère de l’Emploi à agir au plus vite car le statu quo sur ce sujet n’a que trop duré. En effet, depuis l’entrée en vigueur du code du travail, les lois concernant les entreprises d’emploi temporaire n’ont jamais été appliquées. Mais pourquoi la réaction des responsables tarde toujours à venir ? En effet, l’intérim au Maroc est un dossier très épineux. Une source proche du ministère nous fait savoir que les responsables marocains ‘’se retrouvent les poings liés » face à cette situation qui est paradoxale.
– Esclavage moderne
Le secteur emploie des milliers de salariés, il a donc permis de réduire considérablement le taux du chômage parmi la population active. Revers de la médaille: de nombreuses sociétés d’emploi temporaire surexploitent les salariés au point que certains parlent même de la naissance d’une nouvelle forme d’esclavage. Face à cette donne qui dure depuis des années, aucune décision n’a été prise. Cependant, une réaction incisive de la part des autorités pourrait donner lieu à d’autres problèmes. « Une grande multinationale spécialisée dans l’intérim, présente au Maroc depuis quelques années déjà, emploie plus de 9.000 salariés. Vous imaginez la situation dans laquelle nous allons nous retrouver si on venait à interdire cette entreprise pour non-respect de loi », commente un responsable au ministère de l’Emploi.
Malgré d’innombrables tentatives pour redresser la barre, les choses ne sont pas améliorées. De nombreuses réunions tenues entre le ministère d’une part et les représentants des EET de l’autre n’ont pas apporté des résultats signifiants. Il existe actuellement deux grandes associations représentant le secteur. Chacune d’elles à son dossier revendicatif distinct. Globalement, elles appellent à l’introduction de quelques changements concernant deux points essentiels. D’abord, la durée du contrat, fixée par le code du travail à 6 mois, jugée trop insuffisante. Ensuite, les démarches prévues par ce code pour demander une autorisation avant d’exercer. Le législateur exige des entreprises concernées le dépôt à la CDG d’une caution d’un montant égal à 50 fois la valeur globale annuelle du SMIG, soit de plus d’un million DH.
La majeure partie des entreprises opérant actuellement au Maroc seraient incapables de verser cette somme. «Après l’entrée en vigueur du code, des voix se sont élevées contestant le montant de la caution. Cependant, les avis divergent au sein même du secteur sur ce point. Si les uns appellent seulement à la transformation de cette caution en une caution bancaire, les autres demandent de revoir son montant. Le point qui fait l’unanimité, à mon sens, entre toutes les fédérations, est l’augmentation de la durée du contrat de mise à disposition », explique un inspecteur du travail. Dans les textes, l’entreprise d’emploi temporaire est une entité indépendante dont l’activité consiste à embaucher des salariés en vue de les mettre, provisoirement, à la disposition d’une tierce personne appelée «l’utilisateur».
Celle-ci fixe leurs tâches et en contrôle l’exécution. Ces entreprises sont soumises à l’obtention d’une autorisation accordée par la direction de l’emploi. Pour solliciter cette autorisation, elles doivent avoir un capital social d’un montant au moins égal à 100.000 DH et un certificat délivré par la CDG attestant le dépôt de la fameuse caution. Cette dernière est utilisée en cas d’insolvabilité ou après le retrait de l’autorisation pour le paiement des montants dus aux salariés ou à la CNSS.
– Intervention du ministère
La non application du code pousse aujourd’hui le ministère de tutelle à prendre les choses en main. En témoigne le nombre des réunions tenues par les responsables au département de Jamal Rhmani. Contacté par nos soins, le secrétaire général du ministère de l’Emploi et de la Formation professionnelle, Abdelwahed Khoja, affirme que les prochains jours seront décisifs. « Nous avons déjà pris une décision. Toutes les entreprises d’emploi temporaire doivent se conformer aux dispositions de la législation marocaine. Il n’y aura pas un changement de la loi en vigueur. Mais je tiens à préciser que nous avons décidé de faire appliquer toutes les dispositions du code après une concertation avec les acteurs concernés.
Dans ce sens, nous sommes en train d’étudier les méthodes pour atteindre cet objectif à travers l’implication de la FNETT, présidée par Jamal Belahrach.
Il s’agit là d’une association qui fédère tous les représentants du secteur. Prochainement, des commissions spéciales seront créées pour nous permettre d’avancer plus vite. Nous allons prendre en considération essentiellement deux points : la protection de l’emploi et le respect des lois», a déclaré A. Khoja. Le ministère a donc choisi comme principal interlocuteur la FNETT.
Celle-ci a adressé à la CGEM, aux partenaires sociaux et au ministère du Travail 30 propositions pour améliorer le travail temporaire au Maroc (Matin Eco du jeudi 15 mai 2008). Des propositions qui sont loin de faire l’unanimité au sein du secteur. Mais la problématique actuelle ne se limite pas seulement à quelques points règlementaires. Selon les observateurs, la situation est bien plus complexe.
– Précarité
Même si le recours à un salarié d’une entreprise d’emploi temporaire reste strictement soumis à des cas près définis par le législateur, les employeurs marocains font appel, d’une manière massive, aux services des intérimaires. Le salaire d’un intérim coûterait donc moins pour à un employeur ? Pas vraiment… Les employeurs peuvent verser des sommes plus supérieures au SMIG à l’entreprise d’emploi temporaire.
L’engouement pour l’intérim peut être expliqué différemment: «Les établissements font appel à un employé temporaire pour éviter d’éventuel conflit au sein de l’entreprise. L’employeur a la possibilité de demander le remplacement d’un intérimaire par un autre au moindre problème, et ce sans avoir à verser une indemnité ou engager une procédure disciplinaire.
En outre, une forte présence des intérims permet de fragiliser ou même réduire à néant toute opposition syndicale au sein d’un établissement. L’emploi temporaire permet donc de contourner de nombreuses stipulations du code», explique une source.
Par ailleurs, de nombreux inspecteurs du travail affirment que la situation actuelle rend l’application du code du travail très difficile du fait de la nature de la relation du travail découlant du contrat de mise à disposition. Ce genre de contrat est un peu complexe puisqu’il donne lieu à une relation tridimensionnelle réunissant l’entreprise d’emploi temporaire, le salarié et l’entreprise utilisatrice. Cette dernière n’a pas une relation de travail direct avec l’intérim. Ses prérogatives sont plutôt d’ordre opérationnel. Ainsi, elle définit la tâche du salarié temporaire et en contrôle l’exécution.
L’entreprise d’emploi temporaire est l’employeur direct d’un salarié temporaire, elle assume toutes les obligations prévues par la législation du travail envers l’employé: payement du salaire, bulletin de paie, carte de travail…
Il est très difficile de vérifier le respect de la loi par une entreprise dont les salariés sont perpétuellement présents dans une autre entreprise. «Il nous arrive de nous rendre dans des entreprises qui emploient à peine 5 salariés permanents, le reste de l’effectif est formé par des intérims.
Si je me rends dans une entreprise qui emploie des intérims, je ne pourrais pas vérifier que le SMIG par exemple est respecté car le responsable
se contente de nous orienter vers l’entreprise d’emploi temporaire. Cette dernière peut se trouver dans une circonscription relevant d’une autre délégation de travail», indique un inspecteur du travail. La problématique du travail temporaire nécessite donc de grands efforts de la part de tous les acteurs concernés car en définitive, seule une solution consensuelle permettrait réellement de lutter contre le chômage…et la précarité.
– Deux fédérations…
L’AETTO et l’AMTT ont créé en mars dernier la Fédération nationale des entreprises de travail temporaire (FNETT). Dans une contre-offensive, l’UMETT, écartée par la FNETT avait également annoncé la création d’une autre fédération. En effet, le secteur de l’intérim a connu depuis des années une rude concurrence entre les différentes organisations dans le secteur. Avant la création de ces fédérations, le Maroc comptait deux grandes organisations: l’UMETT (Union marocaine des entreprises de travail temporaire), présidée par Zahir Lamrani et l’AETTO (Association des entreprises de travail temporaire transparentes et organisées) de Jamal Belahrech. Le secteur avait également connu la création d’une troisième association: l’Union marocaine du travail temporaire (UMTT) gérée par My Abdellah Alaoui Madaghri. Cette association est née après une dissidence au sein de l’UMETT.
– Ce que dit la loi…
Le code du travail prévoit deux jours d’essai pour tout contrat de travail conclu pour une durée de moins d’un mois, 3 jours d’essai pour le contrat conclu pour une durée variant entre 1 et 2 mois et enfin 5 jours pour le contrat conclu pour une durée supérieure à 2 mois. Par ailleurs, la tâche ne doit pas dépasser la durée de la suspension du contrat en ce qui concerne le remplacement d’un salarié. En outre, elle ne peut excéder 3 mois renouvelables une seule fois lorsqu’il y a un accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise. Pour l’exécution des travaux à caractère saisonnier ou l’exécution des travaux qui ne nécessitent pas la conclusion d’un CDI en raison de la nature du travail, la durée de la tâche est fixée à 6 mois non renouvelables.
Le contrat doit comporter obligatoirement plusieurs mentions, notamment le motif de recours à un salarié intérimaire, la durée de la tâche et le lieu de l’exécution de cette dernière. Le montant fixé comme contrepartie de la mise du salarié à la disposition de l’utilisateur doit être également précisé dans le contrat. Ce dernier comportera dans certains cas deux clauses importantes. La première est relative au rapatriement du salarié par l’EET si la tâche est effectuée à l’étranger. La seconde prévoit la possibilité d’embaucher le salarié par l’entreprise utilisatrice après l’achèvement de sa tâche.
Source :Le Matin