Avant de conduire le changement dans son organisation, un entrepreneur, une entrepreneuse, doit d’abord trouver sa propre raison d’être. Ce travail d’introspection l’amène sur le chemin de l’humilité et de la confiance en soi et dans les autres.
La première étape est intime, elle part du dirigeant, de sa personne et non de sa fonction. Elle l’invite à renouer avec son intériorité, à mettre à jour ses croyances, ses valeurs, ses besoins à satisfaire, ses frustrations, ses peurs mais aussi ses joies et ses aspirations. C’est un voyage au tréfonds de soi qui fait diablement sortir de sa zone de confort , qui ébranle les certitudes anciennes, challenge les paradigmes personnels sur lesquels il s’est construit depuis toujours.
Se connaître au-delà du masque social
L’armure se fendille, il n’y a plus de place pour les attributs du dirigeant. C’est la mort de la langouste. Celle-ci est dotée d’une carapace qui fait office de colonne vertébrale. Otez-lui sa protection, elle devient vulnérable et s’écroule. Pour un dirigeant, la carapace représente les attributs du pouvoir, tout ce qui lui confère un statut et peut masquer son manque de solidité intérieure. Le travail sur soi permet de mettre à jour les artifices que le dirigeant met en place ou auxquels il s’accroche pour gouverner.
Par exemple : un ancien cadre dirigeant qui reprend une entreprise peut être tenté de « jouer » au PDG. Cela peut même être une de ses motivations premières inconscientes lors de son choix entrepreneurial. Un tel dessein gagnera à être mis à jour pour éviter des pratiques managériales en opposition avec ce qu’il prône dans son discours. Autre exemple : un dirigeant peut souhaiter transformer son entreprise pour être admiré, médiatisé, renarcissisé, obtenir enfin la reconnaissance qu’il cherche depuis longtemps.
La démarche d’introspection n’a rien d’agréable sur le moment mais est régénératrice. Le dirigeant en ressort plus fort, comme neuf, revitalisé, en ayant laissé de côté les démonstrations de force (« je suis le chef ») au profit de la puissance, de la force tranquille. Paradoxalement, « c’est en prenant le temps de vous recentrer sur vous-même que vous pourrez mieux servir votre équipe et votre organisation », explique Romain Cristofini dans son livre L’intelligence spirituelle au cœur du leadership(1).
Car les collaborateurs ont besoin de sentir un dirigeant solide, clair et surtout congruent, pour décider de s’engager eux-mêmes dans le changement qui leur est demandé.
À travers ce travail sur lui, le dirigeant va faire le chemin intérieur qu’il demande à ses collaborateurs. Cela lui permettra à la fois d’être modélisable pour eux et en empathie car il pourra témoigner de ses propres difficultés et mieux comprendre celles de ses collaborateurs. « L’entreprise ne peut se transformer au-delà de ce que le dirigeant s’est transformé lui-même » aime à répéter Antoine Blondel [dirigeant de l’entreprise d’aide à domicile Autonhome, ndlr] avec justesse. Au dirigeant de s’engager en premier pour ouvrir la voie au reste de l’entreprise.
Identifier sa raison d’être
Toute chose se crée en deux fois : la première émerge à l’intérieur de soi (vision personnelle), la seconde se manifeste à l’extérieur de soi (passage à l’action). Pour réaliser son rêve, il faut d’abord le rêver. Qui parmi vous, est capable d’énoncer clairement et simplement son rêve, de le mettre en lien avec sa raison d’être ? Personnellement, je connais peu de personnes qui se sont astreintes à cet exercice exigeant.
Pourtant, l’une des premières aptitudes du dirigeant qui veut transformer son entreprise en papillon consiste à commencer par se mettre à l’écoute de lui-même pour accoucher de sa raison d’être, de sa vocation avant de la transformer en projet puis en réalisation. Le terme vocation vient du latin vocare qui signifie appeler. Par quoi êtes-vous appelé ? Quel type de leader voulez-vous être ? Quelle contribution à la société désirez-vous apporter ? Eckart Tolle(2) nous dit : « La vie a une raison d’être intérieure et une raison d’être extérieure. La première est primordiale, elle concerne l’Être. La deuxième est moins essentielle, elle concerne le Faire. Le but, le sens, le bénéfice prime sur le projet lui-même qui ne prendra forme que dans un second temps. »
La première étape pour le dirigeant consiste donc à faire émerger ce qu’il peut apporter de mieux au monde en fonction de qui il est profondément, à clarifier ses aspirations pour sa vie professionnelle et pour son entreprise. Sa raison d’être sera donc unique et singulière, comme lui-même, porteuse d’un sens existentiel à ses yeux. Elle deviendra son étoile polaire, lui indiquant la direction et lui permettant de faire ses choix et prendre ses décisions de façon éclairée, y compris dans les moments de doute, de découragement, de peur. L’étoile sera sa boussole.
Pour faire émerger sa raison d’être, le dirigeant a besoin de se mettre à l’écoute de lui-même, de ses aspirations profondes, de ce qui le met en joie, lui donne le sentiment de s’accomplir, génère de la sérénité, de l’enthousiasme, voire le connecte à plus grand que lui. Sur un plan spirituel (qui n’est pas religieux), on pourrait parler de mission de vie ou de plan de vie choisi par l’âme pour cette incarnation. Cela passe davantage par les émotions que par le mental, par le cerveau droit plutôt que le cerveau gauche.
Mettre l’ego en sourdine
« Dieu a créé le monde comme la mer a créé le rivage : en se retirant », écrivit Friedrich Hölderlin(3), dans l’un de ses poèmes. Cette métaphore peut s’appliquer au dirigeant. Non pas pour le comparer à Dieu mais pour l’inviter à expérimenter l’humilité . Or délaisser la posture haute au profit de la posture basse constitue une des étapes les plus difficiles pour un dirigeant en transformation. Ecouter plutôt que parler, comprendre plutôt que chercher à convaincre, ressentir plutôt qu’être en permanence dans la réflexion et l’action, faire part de ses doutes plutôt que jouer les sachants, faire confiance plutôt que de se sentir indispensable, être roseau plutôt que chêne… voici quelques exemples qui illustrent la posture basse.
C’est une posture d’humilité qui, loin de traduire une faiblesse, confère une puissance étonnante. Encore faut-il mettre son ego de côté. Non pas l’annihiler – car nous en avons besoin -, mais savoir discerner lorsqu’il entre en jeu et ne pas se leurrer. Qu’il prenne le pouvoir sous forme de toute puissance et de survalorisation ou de dépréciation et de culpabilité (les deux côtés d’une même pièce), dans les deux cas, l’ego nous présente une vision déformée, nous faisant pendre notre perception pour la réalité.
Nous avons tendance à être égocentrés et à tout ramener à nous-mêmes, à notre petit moi, ce qui limite notre potentiel. Le décideur, par ses attributs du pouvoir, est fortement menacé par le risque de s’identifier à son ego (le fameux complexe de la langouste). Dans une entreprise Papillon, le rôle du dirigeant n’est plus de contrôler ni de commander mais de soutenir les individus et les équipes lors des prises de décision.
En lâchant la barre, il peut expérimenter sa puissance (et non plus sa force ou son pouvoir) et ainsi permettre à ses collaborateurs d’investir leur propre puissance. La posture basse invite en outre à partager ses ressentis, ses craintes, ses vulnérabilités, ses doutes. Non pas en toute occasion mais dans un cadre protecteur et avec des personnes choisies. Être authentique et humble plutôt que jouer au chef constitue une des premières pistes de travail sur soi.
1. L’intelligence spirituelle au coeur du leadership, Romain Cristofini, Intereditions, 2019. 2. auteur de « Le pouvoir du moment présent », J’ai lu, 2010. 3. Poète et philosophe de la période classico-romantique en Allemagne (1770-1843).